"A la fin du XIXème siècle,
se développent deux théories fondamentales :
- la Théorie des " 4 saveurs de base " (c'est-à-dire
la prééminence de l'existence de 4 saveurs : le sucré,
le salé, l'acide et l'amer)
- la Théorie de la " cartographie linguale des saveurs "
(c'est-à-dire la localisation géographique sur la langue des
saveurs fondamentales : le sucré sur la partie avant de la langue,
l'amer sur la partie arrière, le salé et l'acide en périphérie).
Il faut attendre le XXème siècle
pour assister à la réfutation catégorique de ces deux
théories :
- il n'est plus question de ne parler aujourd'hui que de 4 saveurs, mais plutôt
d'un continuum multidimensionnel de saveurs (existence d'une infinité
de saveurs). Annick Faurion du laboratoire de neurophysiologie sensorielle
de Massy, propose d'ajouter entre autres aux saveurs : l'umami (dont la perception
caractéristique peut se fair e à partir d'un bouillon d'algues
kombu) et la réglisse
- des recherches scientifiques ont prouvé le caractère erronée
de la prétendue localisation des saveurs sur la langue (la langue est
pourvue à sa surface de bourgeons, papilles réceptrices des
saveurs, capables de reconnaître plus ou moins certaines saveurs).
De même, la question de l'inné ou de l'acquis en matière
de goût est toujours sujet à polémiques entre physiologistes
et psychosociologues : des études (entre autres ceux initiés
par Benoît Schaal, chercheur à l'INRA) ont montré que
la culture du goût est acquise dès le stade utérin.
Hervé This pour sa part, invoque " l'inné " pour sa
dimension physiologique :
" les sensations sucrées ont un attrait inné, parce que
le nourrisson ou le jeune singe sont équipés de récepteurs
chimiques et de circuits nerveux qui leur permettent d'apprécier ces
sensations physiologiquement utiles : le sucré est associé aux
fruits, lesquels apportent de l'énergie. Inversem ent, de nombreux
végétaux amers sont toxiques, de sorte que la biologie a intérêt
à rendre les individus naturellement méfiants à leur
égard " ,
et ajoute combien l'acquis est fortement dépendant de l'environnement
et des apprentissages de l'être en construction.
En outre, il faut réfuter la croyance selon laquelle l'olfaction serait le sens principal du goût (parfois même, on peut lire que l'odorat est responsable de 90% du goût !). Pour illustrer cette contre-vérité, Hervé This cite par exemple les accidents de brûlure de la langue lors de la consommation d'aliments " trop chauds " inhibant les mécanismes de perception de la saveur, et donc du goût .).
Aujourd'hui, la sensation olfactive fait l'objet de nombreux travaux et de nombreuses théories, entre autres : la théorie de la reconnaissance des arômes volatils par les vibrations émises (c'est-à-dire la capacité des récepteurs de l'odorat à identifier la vibration émise et spécifique de chaque arôme). Cette théorie a été prouvée scientifiquement par Luca Thurin .
En 2004, un prix Nobel est même
remis à des chercheurs pour leurs travaux sur les mécanismes
de l'olfaction : deux chercheurs Américains, Richard Axel et Linda
B. Buck reçoivent le Prix Nobel de physiologie et de médecine
2004 pour leurs travaux sur les mécanismes impliqués dans la
perception, la reconnaissance et le souvenir des odeurs à l'échelon
génétique et moléculaire. Ils définissent ce principe
en 4 points :
1. la reconnaissance des molécules odorantes présentes dans
l'air par des récepteurs d'odeurs localisés à la surface
des membranes olfactives
2. l'activation des cellules et transmission d'un signal électrique
3. le regroupement / combinaison des signaux au niveau des glomérules,
organes intermédiaires entre le bulbe olfactif et le cerveau
4. enfin la transmission des signaux au cerveau et leur reconnaissance.
En 2005, la théorie développée
par Luca Thurin est sujette à polémique, notamment par Pierre-Marie
Lledo, directeur de l'Unité perception et mémoire olfactive
de l'Institut Pasteur - CNRS :
"Il y avait alors des théories, que l'on sait aujourd'hui fumeuses,
concernant par exemple des phénomènes de vibrations moléculaires
".
Hervé This, en participant à
la rénovation du CAP Cuisine, participe à une plus grande lisibilité
en matière d'analyse sensorielle et prône une plus grande logique
dans son enseignement :
- Il définit ainsi le goût comme " l'ensemble des sensations,
gustatives (saveur), olfactives (odeurs et arômes), mécaniques,
proprioceptives, thermiques... ".
Le goût ainsi, " (.) une fois perçu de façon physiologique
(le goût dépend des circonstances, de l'environnement, des convives
de l'état de santé, de la culture, de l'histoire individuelle...),
est interprété par le cerveau, qui lui associe des qualités
d'après les expériences individuelles ou sociales (souvenirs,
émotions, apprentissages, etc.) ".
- Il retient le terme de gustation pour décrire la sensation générale
du goût, mais ajoute le terme de " sapiction " pour décrire
la perception des saveurs.
- Il rejette le terme de " flaveur " pour désigner l'association
de la saveur et de l'odeur. Il revendique le fait que " cette combinaison
n'est ni perceptible (on ne peut s'affranchir des autres composantes du goût)
ni mesurable ", et préfère évoquer le terme de "
goût " pour apprécier globalement un mets
- Il précise la notion d'arôme : pour lui, la notion d'arôme
peut s'entendre de deux façons :
" Il y a d'abord des préparations aromatiques, vendues par de
grandes entreprises, qui extraient des molécules odorantes (notamment)
des tissus végétaux et animaux, produisant des " arômes
bolet ", " arômes vanille ", etc. Il y a aussi une sensation
: celle que l'on a, par exemple quand on boit du vin et que, parmi mille sensations
confuses, on reconnaît du fruit rouge. Cette composante du goût,
synthétique, faite de s aveur, d'odeur, de texture, de trigéminal.
c'est un arôme. Autrement dit, l'arôme est une composante identifiable
du goût ". Cette approche de l'arôme dépasse ainsi
celle proposée par l'Association Française de Normalisation
(AFNOR) : " Propriété organoleptique perceptible par l'organe
olfactif par voie rétro-nasale lors de la dégustation ".
Dans son dernier ouvrage " De la science aux fourneaux " , il réfute
ainsi le terme d'arôme pour désigner les molécules odorantes
captées par le nez lors de la dégustation d'un produit, qui
conduit souvent à des confusions avec la sensation que ces molécules
engendrent. L'arôme ne peut définir par conséquent que
" l'odeur d'une plante aromatique " . Il propose le terme de "
compositions ou extraits odoriférants " pour désigner ce
que l'on nomme aujourd'hui " arômes alimentaires ".
Il ne faut sans doute pas oublier dans ce point historique qui ne se prétend certes pas exhaustif, les noms de Jacques Puisais, entre autres initiat eurs des classes du goût, et celui de Joseph Hossenlopp, éminents spécialistes de l'analyse sensorielle, et ardents défenseurs d'un enseignement structuré de l'analyse sensorielle dès l'école primaire.
PLUSIEURS AUTRES ACTUALITES :
Le site du Nouvel Observateur daté du 24 août 2006 mentionne la découverte par l'équipe de Charles Zucker (Howard Hughes Medical Institute, San Diego, USA et Nicholas Ryba (NIH) d'un récepteur (sur la langue) qui permet de détecter l'acide dans les aliments, un récepteur différent de celui du sucré, de l'amer, du salé ou de l'umami.
Des études menées au Centre
des sciences alimentaires de Wageningen au Pays-Bas par Jon Prinz et son équipe
ont permis de poser pour certitude que la lèvre inférieure est
la partie de la bouche la plus sensible aux variations de température,
ressenties en moins d'un dixième de seconde. Ce constat vient confirmer
la pratique empirique des professionnels, notamment des Chocolatiers, testant
la temp érature de leur chocolat dans sa mise au point (on parle aujourd'hui
de la technique de pré-cristallisation), ou encore des rôtisseurs
évaluant " à la lèvre " la juste température
de cuisson de leurs rôtis en appliquant une aiguille métallique
au contact de leur lèvre préalablement piquée au cour
de la pièce de viande.
De même, il a été prouvé par cette équipe
de chercheurs la très forte corrélation entre la température
perçue en bouche et la proportion de graisse dans l'aliment ingéré
: les molécules de graisse induisent une sensation de chaleur dans
la bouche.
En outre, dans l'ouvrage d'Hervé
This " De la science aux fourneaux " , l'auteur relève plusieurs
autres découvertes :
- celle récente faite par des physiologistes, d'intermédiaires
entre les molécules odorantes et les cellules réceptrices du
nez, dénommées OBP (pour odorant - binding - proteins, littéralement
" protéines de liaison des molécules odorantes ")
;
- celle réalisée par le trio D. McKenn y, W. Neuhausser et D.
Julius à l'Université de San Francisco , sur la perception de
fraîcheur. Les chercheurs ont prouvé la similitude des récepteurs
de la température froide avec ceux de la fraîcheur mentholée
(la sensation de frais) ;
- celle réalisée par C. Zucker de l'Institut Howard Hughes et
N. Ryba de l'Institut ondotologique de Bethesda, lesquels ont réussi
à identifier une protéine constitutive d'un récepteur
gustatif des acides aminés ;
- celle réalisée par Annick Faurion à l'INRA de Jouy-en-Josas
et ses collègues des Universités de Paris et de Tours (partie
ondotologie). Ces chercheurs ont montré la forte corrélation
entre le nombre de dents dévitalisées et le seuil de sensibilité
gustative : plus les dents dévitalisées sont nombreuses, moins
l'individu est sensible à la perception gustative. Ils ont en outre
montré l'association entre la localisation des déficits de perception
de la saveur et la position des dents extraites ou traitées, notamment
dans la p artie antérieure. Ce qui pour Hervé This pourrait
expliquer que les personnes âgées ne souffrent pas de perte de
saveurs par l'inhibition de leurs papilles gustatives comme on le croit souvent,
mais par la " perte de leurs dents et d'une mauvaise perception de la
consistance des aliments " .
Aujourd'hui, il est communément
admis que la perception sensorielle suit un ensemble de réactions de
nos sens à différents stimuli, de manière indépendante
ou quasi simultanée et sans ordre précis, tenant essentiellement
aux caractéristiques propres à l'acte de dégustation
:
- les sensations visuelles, pour évaluer les couleurs, les formes,
l'état, la disposition . font partie intégrante du goût
(car fortement imbriquées dans la perception que la personne se fait
de l'aliment par la vue, laquelle influence directement le goût qu'il
perçoit - preuve en est par exemple les expériences nombreuses
en la matière montrant l'influence de la couleur sur la perception
olfactive de l'a liment , mais aussi l'influence de la couleur sur la perception
gustative de l'aliment. Hervé This parle à ce propos "
d'illusion sensorielle ") ;
- les sensations tactiles, composantes du goût aussi, donnent la mesure
de l'état de la matière et de ses caractéristiques en
terme de texture ;
- les sensations olfactives résultant de l'approche de l'aliment vers
le nez, permettent d'apprécier les odeurs résultant de l'évaporation
de molécules odorantes de l'aliment ;;
- les sensations buccales combinent un grand nombre de sensations :
o les papilles sur la langue sont des récepteurs des molécules
sapides qui sont diffusées dans la salive lors de la mastication (sensations
" sapictives ") ;
o le nez, par l'arrière de la bouche (" les fosses rétronasales
") dispose de récepteurs pour percevoir les molécules odorantes
libérées, d'autant plus que la température de l'aliment
est élevée (sensations olfactives) ; parmi les molécules
odorantes, il en existe certaines qui présentent la particularité
de communiquer une odeur (sensation olfactive) et une sensation dite "
trigéminale " (en stimulant des récepteurs reliés
à un faisceau nerveux à trois branches nommé " nerf
trijumeau ", chacun irriguant une partie du corps : le nez, la bouche,
la face). Hervé This cite pour exemple le menthol qui communique l'odeur
de menthe et la sensation de frais (sensations trigéminales) ;
o la bouche dispose d'autres récepteurs pour apprécier la température
(sensations thermiques), le piquant, la texture : dur, mou, gras, .(sensations
mécaniques) ;
- les sensations auditives ajoutent à la perception du goût.
Le cerveau est l'organe essentiel dans la perception finale du goût, puisqu'il croise les perceptions sensorielles aux expériences gustatives antérieures propre à chaque individu, qu'elles relèvent de sa culture " familiale ", de ses souvenirs, de ses apprentissages, de ses expériences douloureuses, .
Des gènes aux mille saveurs
L'identification de gènes codant pour des récepteurs du goût
marque un pas important vers la compréhension de ce sens.
ue, ouïe, toucher, odorat et goût ; les cinq sens permettent de
créer une représentation complète du monde extérieur.
Néanmoins, si les quatre premiers sont aujourd'hui relativement bien
définis, le goût recèle encore de nombreux mystères.
Une étape décisive vient pourtant d'être franchie par
une équipe américaine qui a identifié deux gènes
codant pour des récepteurs gustatifs.
En analysant l'ADN extrait des papilles d'un rat, les équipes de Nicholas
Ryba du National Institute of Dental and Craniofacial Research (Bethesda)
et de Charles Zuker du Howard Hugues Medical Institute (San Diego) ont réussi
à localiser puis à cloner les gènes TR1 et TR2. Uniques,
ces deux séquences nucléotidiques se révèlent
caractéristiques des récepteurs des protéines G, des
molécules impliquées dans de nombreuses cascades hormonales.
"Il y a une très forte probabilité pour que ces deux gènes
jouent un rôle dans la perception des saveurs sucrées ou amères,
explique Alain Robichon de l'Institut européen des sciences du goût
et des comportements alimentaires (Dijon). Ils ne sont en effet exprimés
que dans les cellules gustatives correspondantes." Selon lui, ce résultat,
s'il est préliminaire, pourrait bien s'avérer crucial pour la
détermination des bases moléculaires du sens du goût.
Les mammifères peuvent différencier cinq saveurs : amer, acide,
sucré, salé et umami, cette dernière correspondant au
monoglutamate de sodium. Leurs récepteurs sont rassemblés en
bulbes dans les papilles et plusieurs études ont déjà
montré qu'elles sont décelées par différentes
régions de la langue : le fond pour l'amer, les côtés
pour l'acide et l'extrémité pour le salé et le sucré.
Dans sa plus simple forme, le goût offre à l'organisme un moyen
efficace de discrimination de la nourriture. Les récepteurs du sucre
permettent par exemple de reconnaître les aliments à fort pouvoir
calorique alors que les signaux amers, caractéristiques des poisons,
stimulent l'aversion. Cependant, le seul récepteur connu à ce
jour est celui de l'umami, découvert en 1996. D'autres analyses électrophysiologiques
suggèrent que ceux des ligands salés et acides mettent en uvre
les canaux à sodium et à protons. Mais pour ce qui est du sucré
et de l'amer, les choses se compliquent. En effet, ces dernières années
ont vu se dessiner de forts soupçons sur le rôle des récepteurs
des protéines G dans la perception des deux saveurs. Malheureusement,
il existe autant de modèles de transmission des signaux sucrés
et amers que de cascades des protéines G. C'est pourquoi l'identification
des gènes codant pour les récepteurs gustatifs se révèle
être d'une grande importance, même si le travail de Nicholas Ryba
et de Charles Zuker est loin d'être terminé.
Selon Alain Robichon, "ils savent que TR1 et TR2 codent pour des récepteurs
du goût, mais lesquels ? La difficulté sera de déterminer
leur fonction exacte et ils se trouvent maintenant devant l'obstacle majeur
qui fait du goût le sens le moins facile à étudier."
D'habitude, la recherche de la fonction d'un gène d'un récepteur
passe par la mise au point d'un système artificiel. En l'incluant dans
le patrimoine génétique d'une cellule en culture, il est alors
possible de retrouver le ligand correspondant. Mais la perception d'une saveur
met en jeu plus d'une substance. Pour retrouver la fonction des gènes
TR1 et TR2, il faudrait cloner au minimum quatre ou cinq molécules
intervenant dans la transmission des signaux. "Cette difficulté
vient principalement du fait que les molécules du goût n'interagissent
que très faiblement avec leurs récepteurs, indique Alain Robichon.
Le système gustatif est donc très complexe car il met en jeu
de nombreux intermédiaires." A moins de trouver une astuce pour
contourner cet obstacle, les Américains devront attendre encore quelques
années pour goûter à la victoire.
Fabrice Demarthon